Parution de Nunatak n°4 (Hiver-Printemps/2019)

Le numéro 4 de Nunatak, revue d’histoires, cultures et luttes des montagnes, vient de paraître (il peut être  téléchargé ici ). Il sera prochainement disponible en version papier dans plusieurs endroits (consulter la liste des lieux de diffusion )

Si vous souhaitez recevoir des exemplaires, vous pouvez nous contacter en précisant le nombre désiré ainsi que l’adresse de réception. Dorénavant, pour celles et ceux qui ne l’ont pas encore fait, il est possible de s’inscrire dans notre carnet d’adresses et de recevoir les prochains numéros dès leur parution. Il suffit de nous le préciser par retour de mail. N’hésitez pas à nous contacter si vous voulez nous aider dans la diffusion, participer à la revue,  nous envoyer vos propositions de textes, d’illustrations, commentaires ou critiques.

Ps: nous souhaitons faire une tournée de présentation de la revue dans le Massif Central (Limousin, Haute-Loire, Nord-Ardeche, Auvergne…) au début du printemps, si vous souhaitez proposer des dates et/ou des lieux pour les présentations, n’hésitez pas à nous contacter!

SOMMAIRE :
Belle époque et xénophobie/Brigante se more/Chasse, pêche, nature et réintroduction/Pour une poignée de riz/Choucas des tours/Le bruit du fleuve Congo
n’ empêche pas les poissons de dormir/Un compteur intelligent n’est pas le contraire d’ un compteur idiot


Edito :

Oscillant entre le constat que les régions de montagne sont parfaitement intégrées au système capitaliste, et notre attachement à ces espaces comme porteurs de possibles, le premier édito de Nunatak définissait notre analyse comme « paradoxale ».

Depuis ce premier numéro, de nouvelles personnes ont rejoint le collectif au gré de rencontres, de rendez-vous d’ ’ élaboration de la revue, de présentations publiques. En écrivant, relisant et discutant les articles prochainement publiés, nous revenons de manière régulière à cette ambivalence et aux questions qui en découlent. Comment donner à voir en quoi les montagnes nourrissent nos imaginaires, sans verser dans un discours idéalisé – romantique – de la montagne ? Comment raconter ce qui nous y anime sans surinvestir la montagne comme lieu de résistance ou de liberté ? Sans l’ ériger comme refuge psychologique, partie du monde préservée, où les formes de vie y batailleraient plus ardemment qu’ ailleurs contre les forces obscures du capitalisme depuis leurs pitons rocheux imprenables ?

Si les temps actuels sont politiquement un peu difficiles à avaler, il n’ en reste pas moins évident pour nous que le romantisme politique n’ a jamais semblé constituer le moindre début de solution. Et le cortège l’ accompagnant communément – passéisme, héroïsation, valorisation de vies paysannes rudes et supposément saines, nostalgie d’ un éden pré-capitaliste… – ne paraît pas plus désirable.
Pourtant, des objets d’ articles prêtant le flan à l’ exaltation, qu’ il s’ agisse de la garde de troupeaux ou de hors-la-loi montagnards, il y en a eu quelques-uns. Tous ont amené à des débats au sein de la revue.

Prenons le pastoralisme, par exemple. Comment traiter avec justesse de la condition de berger ou bergère ? Nous sommes plusieurs, voire nombreux·ses, dans et hors de cette revue, à s’ être retrouvé·e seul·e avec mille trois cent brebis et cinq chiens, dans la lumière d’ automne sur les crêtes brumeuses ébouriffées d’ églantiers. Nous avons fondu devant cet espace, cette liberté, ces moutons soyeux et ces systèmes pastoraux cohérents, heureux de la distance que garde encore en partie le métier avec l’ industrialisation de l’ agriculture et ses déclinaisons normatives. Bien sûr que nous souhaitons le partager au travers d’ articles. Et nous avons pourtant été les mêmes à qui une nuit complète et six packs de bières n’ ont pas suffi à raconter l’ ensemble des emmerdes que la garde nous a causé. Salaires de misère, patrons lubriques et misogynes, cabane pourrie ou absence d’ organisation collective – si ce n’ est avec le chien. Alors, comment raconter ce qui nous fait rêver, nous anime ou nous porte dans ce métier sans mettre sous le tapis les coups de pieds aux droits sociaux communs, la marchandisation de l’ imagerie pastorale et le fait que nous n’ y sommes pas à l’ abri des normes, juste quelques mètres devant, et qu’ elles courent vite ?

Quand il s’ agit de figures historiques, cette tension est aussi présente. Qu’ ils soient brigands ou déserteurs, Demoiselles ou maquisards, nous ne désirons pas entretenir des mythes absolus et décontextualisés, créer des imageries de révolté·es montagnard·es aux cœurs purs. Pour autant, au-delà du fantasme, ces personnages et leurs réalités vécues nous intriguent, parce qu’ oublié·es par l’ histoire des vainqueurs, ou en rupture avec celle-ci. Ils nourrissent nos imaginaires, alors comment aborder leurs histoires sans idéaliser l’ illégalisme, qui n’ est pas toujours motivé par un autre mobile que celui de la survie ?

Ce ne sont que deux exemples parmi d’ autres, et ces discussions nous ont amené à un constat : nous n’ avons pas de réponse unique et commune à apporter pour sortir de ce paradoxe permanent.
Si ce questionnement autour de l’ idéalisation de la montagne et de ses singularités nous traverse tous et toutes unanimement, Nunatak rassemble des personnes aux parcours variés, avec leurs rapports spécifiques à la montagne, à l’ écrit et aux savoirs. Habitées de manières différentes par les rebelles, les marginaux, les petites bêtes duveteuses, les loups ou les chasseurs. Certain·es ne s’ interdisent pas une idéalisation cultivée, d’ autres ne s’ y sentent pas plus imperméables que le commun des mortels, d’ autres encore se souhaitent foncièrement matérialistes.
Cette multiplicité de rapports aux thématiques abordées dans Nunatak – qu’ il s’ agisse d’ une figure d’ une époque lointaine du nord du Piémont ou des vertus d’ une plante du Mercantour – a construit cette revue. Nous tentons, et tenterons, de donner à voir cette multiplicité, parce qu’ elle nous paraît plus nourrissante que la modélisation d’ une supposée ligne commune sur l’ imaginaire montagnard. Ainsi, la contrebande fut abordée d’ une certaine manière dans Bétail, sel et fusils (numéro 2), elle le sera différemment dans Pour une poignée de riz au sein du présent numéro.

Nous ne sommes pas des spécialistes des sujets abordés et sommes évidemment traversé·es de subjectivité. Mais au-delà de la part d’ idéalisation dont sont empreints à des degrés divers les écrits publiés, ce qui nous intéresse est ce qu’ ils nous donnent à voir, à débattre ou à questionner. Sans prétendre faire de Nunatak une revue scientifique ou rationaliste, il nous tient à cœur collectivement d’ interroger les réalités matérielles et économiques des sujets abordés dans la revue. Les plantes médicinales des montagnes ne nous font pas oublier la destruction du système de santé – notamment dans les zones reculées – tout comme quelques ares de légumes auto-produits ne suffisent pas à en finir avec l’ agro-industrie.

Les montagnes et ce qu’ elles abritent peuvent prêter à rêver, à s’ organiser, à rire ou à lutter. Nous ne voulons pas choisir entre tout ça, mais partager des récits, des expériences qui nous renforcent, en se défiant du folklore. Nous sommes en équilibre, sur une ligne de crête.
Ce qui est finalement assez normal vu la gueule des terrains arpentés.

 

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