Parution de Nunatak n°5 (Hiver-printemps 2019/20)

Le numéro 5 de Nunatak, revue d’histoires, cultures et luttes des montagnes, vient de paraître (il peut être  téléchargé ici). Il sera prochainement disponible en version papier (consulter la liste des lieux de diffusion )

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PS : On nous glisse dans l’oreillette que des soirées de présentation seraient en préparation dans le Lubéron et en Bretagne…

 

SOMMAIRE :
Promenons-nous dans les bois/Nicole écoute aux Portes/La fin du monde, l’eau et le feu/Transhumances/Imbroglio sur le Markstein/Voyage, voyage !

 

 

 

 


Édito

La randonnée que nous allons entamer nous mènera sur des chemins escarpés où l’équilibre risque d’être difficile à tenir. Tel un funambule des montagnes, nous essayerons de ne pas chuter car il nous faudra mettre en évidence des contradictions sans tomber dans la critique facile qui vise à moraliser ou à faire culpabiliser.

Nous observons autour de nous un intérêt grandissant pour tout un ensemble de choix de vie qu’on pourrait qualifier d’alternatifs. Autonomie alimentaire ou énergétique, écoconstruction, écoles alternatives, médecines douces, régimes alimentaires divers et variés, économie sociale et solidaire, etc.

On pourrait a priori se dire « Eh bien quoi ? Chacun fait fait fait c’qui lui plaît plaît plaît, non ? » Certes. Il ne s’agit d’ailleurs pas ici de juger ce que chacun·e met dans son assiette ou comment on occupe son temps libre.
Plus questionnant par contre est le fait que ces choix de vie individuels sont très souvent présentés comme des choix militants et forts, une solution politique aux problèmes sociaux et environnementaux. Dans ce foisonnement d’alternatives, certains y verront un moyen de détruire le capitalisme, mettant ainsi en pratique la théorie dite « de la tâche d’huile » : montrer l’exemple, la voie à suivre, en incitant les autres à « s’y mettre aussi » et alors, peu à peu, le nouveau monde remplacera l’ancien. Ce mouvement ne se trouve-t-il pas amplifié par les angoisses liées à « l’effondrement programmé du capitalisme et de la planète » ?

Ces choix sont-ils réellement à la portée de tout un chacun ? Ces alternatives souvent mises en avant par des individus et groupes plutôt bien dotés culturellement et financièrement, ne délimiteraient-elles pas une nouvelle frontière symbolique des rapports de classe ? On voit d’ailleurs facilement venir les rengaines culpabilisantes envers celles et ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas appliquer ces recommandations d’usage1.
Se livrer à une démarche individuelle soit-disant vertueuse ne se ferait-il pas au détriment de perspectives collectives d’émancipation, avec ce qu’elles peuvent comporter de confrontations avec l’ordre établi ?
Et puis, ne serait-ce pas illusoire de croire à un changement fondamental des structures de cette société en s’en remettant à « si tout le monde faisait comme-ci… » ?

Nous voilà bien chargés pour continuer l’ascension. Nous tanguons. Avant de chuter vers une pente un peu trop raide, reprenons notre souffle et jetons un œil de l’autre côté de notre ligne de crête.

Ce que nous critiquons dans certaines alternatives, c’est qu’elles mettent de côté la question sociale : soit elles croient s’en exclure en vivant en marge ou au désert ; soit elles dénigrent ou nient l’importance du politique dans la société ; soit elles sont elles-mêmes nihilistes au point de ne plus rien tenter puisque « ça ne sert à rien » ; ou encore – et c’est le plus prégnant – elles n’envisagent même pas d’avoir d’impact sur la machine capitaliste, qui est pourtant ce qui nous amène à chercher des alternatives aux continuels désordres que nous vivons.
Faire pousser des légumes, se réapproprier sa santé, comprendre ce qui se passe sous le capot de sa bagnole… il y a de l’intérêt dans toutes ces initiatives qui comportent des éléments de réponses. Le gros bémol réside dans le fait de nous les présenter comme des formes de résistances au système en place.

Développer la compréhension de son corps, de sa santé et des moyens d’automédication, fait-il réellement sens si l’on se désintéresse dans le même temps des luttes pour le maintien de services dans les petits hôpitaux ou contre les déserts médicaux ? Que signifie l’investissement dans un vélo électrique pour réduire son empreinte carbone, à l’heure où les temps de trajet domicile/travail augmentent et où les petites lignes de train disparaissent ?

Plutôt que de centrer les pratiques de changement sur le collectif au sens large, les alternatives les font assumer par l’individu, la famille, ou le groupe affinitaire, ce qui à terme met l’accent sur la compétition, l’inégalité, l’atomisation, la division (sexuelle des taches, internationale du travail, des luttes etc.).

L’injonction à se gérer soi-même se retrouve à tous les niveaux. Du salarié toujours plus flexible au travailleur indépendant, en passant par le développement personnel, ou encore l’astreinte au bien-manger bien-bouger, il y a recentrage sur l’identité et l’individu qui se doit d’être autonome et performant, au détriment d’une sociabilité riche d’interdépendances. Cela entraîne un repli sur soi qui semble être une lame de fond traversant toutes les couches de la société actuelle.

Dans cette vision individualiste propre aux sociétés marchandes, chacun se bat pour soi, contre tous ou presque, pour assurer son bien-être, son niveau de vie, ses espoirs, sa sociabilité.

Là, nous sommes au point culminant, allez on redescend en rappel !

Ce qui nous paraît important, c’est de faire vivre l’expérimentation dans le champ social. Il est vain de penser pouvoir s’extraire du monde tel qu’il existe, il l’est également de rejeter toute tentative d’aller à l’encontre des rapports sociaux dominants. Expérimentons donc ! Sans chercher l’exemplarité, sans non plus nier la conflictualité et les contradictions que peuvent porter les expériences à la marge. Au-delà de nos critiques des sociétés actuelles, certaines pratiques peuvent nous faire entrevoir des rapports différents de ceux auxquels le monde marchand nous condamne.
Par contre, s’il s’agit de tout mettre à plat pour de bon, il y a fort à parier que ça ait plus la tronche du foisonnement confus du mouvement des gilets jaunes, que d’une « insurrection des consciences » bien balisée à la Pierre Rabhi se gardant bien de mettre en cause le capitalisme et les structures du pouvoir.

Nous n’avons évidemment pas de solution toute faite à proposer. Aucune ne détiendrait l’entièreté de la réponse et il en reste sûrement d’autres à inventer.

Descente terminée sans écorchures ou presque, on touche terre, bienvenue dans Nunatak n°5 !

1 À ce propos, merci aux gilets jaunes d’avoir rappelé que si on ne met pas en place des choix de consommation bio et locaux, ce n’est pas forcément parce que l’on est des abrutis, mais bien souvent parce que l’on n’en a pas les moyens.
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